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25 avril 2012 3 25 /04 /avril /2012 18:06

Lettre de Philippe Torreton à Jean Ferrat

 

(par Michel Kemper)

 

Jean,

J’aimerais te laisser tranquille, au repos dans cette terre choisie. J’aurais aimé que ta voix

chaude ne serve maintenant qu’à faire éclore les jeunes pousses plus tôt au printemps, la

preuve, j’étais à Antraigues il n’y a pas si longtemps et je n’ai pas souhaité faire le

pèlerinage. Le repos c’est sacré !

 

Pardon te t’emmerder, mais l’heure est grave, Jean. Je ne sais pas si là où tu es tu ne

reçois que le Figaro comme dans les hôtels qui ne connaissent pas le débat d’idées, je ne

sais pas si tu vois tout, de là haut, ou si tu n’as que les titres d’une presse vendue aux

argentiers proche du pouvoir pour te tenir au parfum, mais l’heure est grave !

 

Jean, écoute-moi, écoute-nous, écoute cette France que tu as si bien chantée, écoute-la

craquer, écoute la gémir, cette France qui travaille dur et rentre crevée le soir, celle qui

paye et répare sans cesse les erreurs des puissants par son sang et ses petites

économies, celle qui meurt au travail, qui s’abîme les poumons, celle qui se blesse, qui

subit les méthodes de management, celle qui s’immole devant ses collègues de bureau,

celle qui se shoote aux psychotropes, celle à qui on demande sans cesse de faire des

efforts alors que ses nerfs sont déjà élimés comme une maigre ficelle, celle qui se fait virer

à coups de charters, celle que l’on traque comme d’autres en d’autres temps que tu as

chantés, celle qu’on fait circuler à coups de circulaires, celle de ces étudiants affamés ou

prostitués, celle de ceux-là qui savent déjà que le meilleur n’est pas pour eux, celle à qui

on demande plusieurs fois par jour ses papiers, celle de ces vieux pauvres alors que leurs

corps témoignent encore du labeur, celles de ces réfugiés dans leurs propre pays qui

vivent dehors et à qui l’on demande par grand froid de ne pas sortir de chez eux, de cette

France qui a mal aux dents, qui se réinvente le scorbut et la rougeole, cette France de

bigleux trop pauvres pour changer de lunettes, cette France qui pleure quand le ticket de

métro augmente, celle qui par manque de superflu arrête l’essentiel…

 

Jean, rechante quelque chose je t’en prie, toi, qui en voulais à D’Ormesson de déclarer,

déjà dans le Figaro, qu’un air de liberté flottait sur Saïgon, entends-tu dans cette

campagne mugir ce sinistre Guéant qui ose déclarer que toutes les civilisations ne se

valent pas? Qui pourrait le chanter maintenant ? Pas le rock français qui s’est vendu à la

Première dame de France. Ecris-nous quelque chose à la gloire de Serge Letchimy qui a

osé dire devant le peuple français à quelle famille de pensée appartenait Guéant et tous

ceux qui le soutiennent !

 

Jean, l’huma ne se vend plus aux bouches des métros, c’est Bolloré qui a remporté le

marché avec ses gratuits. Maintenant, pour avoir l’info juste, on fait comme les poilus de

14/18 qui ne croyaient plus la propagande, il faut remonter aux sources soi-même, il nous

faut fouiller dans les blogs… Tu l’aurais chanté même chez Drucker cette presse insipide,

ces journalistes fantoches qui se font mandater par l’Elysée pour avoir l’honneur de poser

des questions préparées au Président, tu leurs aurais trouvé des rimes sévères et

grivoises avec vendu…

 

Jean, l’argent est sale, toujours, tu le sais, il est taché entre autre du sang de ces

ingénieurs français. Lajustice avance péniblement grâce au courage de quelques-uns, et

l’on ose donner des leçons de civilisation au monde…

 

Jean, l’Allemagne n’est plus qu’à un euro de l’heure du STO, et le chômeur est visé,

insulté, soupçonné. La Hongrie retourne en arrière ses voiles noires gonflées par l’haleine

fétide des renvois populistes de cette droite “décomplexée”.

 

Jean, les montagnes saignent, son or blanc dégouline en torrents de boue, l’homme meurt

de sa fiente carbonée et irradiée, le poulet n’est plus aux hormones mais aux antibiotiques

et nourri au maïs transgénique. Et les écologistes n’en finissent tellement pas de ne pas

savoir faire de la politique. Le paysan est mort et ce n’est pas les numéros de cirque du

Salon de l’Agriculture qui vont nous prouver le contraire.

 

Les cowboys aussi faisaient tourner les derniers indiens dans les cirques. Le paysan est

un employé de maison chargé de refaire les jardins de l’industrie agroalimentaire. On lui

dit de couper il coupe, on lui dit de tuer son cheptel il le tue, on lui dit de s’endetter il

s’endette, on lui dit de pulvériser il pulvérise, on lui dit de voter à droite il vote à droite…

Finies les jacqueries !

 

Jean, la Commune n’en finit pas de se faire massacrer chaque jour qui passe. Quand

chanterons-nous “le Temps des Cerises” ? Elle voulait le peuple instruit, ici et maintenant

on le veut soumis, corvéable, vilipendé quand il perd son emploi, bafoué quand il veut

prendre sa retraite, carencé quand il tombe malade… Ici on massacre l’Ecole laïque, on lui

préfère le curé, on cherche l’excellence comme on chercherait des pépites de hasards, on

traque la délinquance dès la petite enfance mais on se moque du savoir et de la culture

partagés…

 

Jean, je te quitte, pardon de t’avoir dérangé, mais mon pays se perd et comme toi j’aime

cette France, je l’aime ruisselante de rage et de fatigue, j’aime sa voix rauque de trop de

luttes, je l’aime intransigeante, exigeante, je l’aime quand elle prend la rue ou les armes,

quand elle se rend compte de son exploitation, quand elle sent la vérité comme on sent la

sueur, quand elle passe les Pyrénées pour soutenir son frère ibérique, quand elle donne

d’elle même pour le plus pauvre qu’elle, quand elle s’appelle en 54 par temps d’hiver, ou

en 40 à l’approche de l’été. Je l’aime quand elle devient universelle, quand elle bouge

avant tout le monde sans savoir si les autres suivront, quand elle ne se compare qu’à elle-

même et puise sa morale et ses valeurs dans le sacrifice de ses morts…

 

Jean, je voudrais tellement t’annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai…

Je t’embrasse.

 

Philippe Torreton

 

(Homme de théâtre et chanteur)

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commentaires

L
<br /> Un souffle puissant traverse cette lettre et la voix forte de son auteur résonne à nos oreilles...Bon week-end La Râleuse !<br />
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M
<br /> Notre pays est mis en danger par un parvenu qui ne veut pas quitter son poste A++<br />
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A
<br /> Pour répondre à Claudio : je suis sur la même longueur d'onde que râleuse. On ne demande rien pour les présidentielles et on joue le jeu pour battre Sarko et le FN. Mais pour les<br /> législatives, nous aurons des candidats partout, et pour le 2e tour, il faut que les socialistes jouent le jeu et votent pour le candidat du front de gauche s'il est en<br /> tête. Moi, je veux aussi voir l'attitude du clan Hollande pendant la campagne du 2e tour. C'est ce qui me déterminera. Pour râleuse : As-tu été voir mes enfants comme ils étaient beaux à<br /> leur mariage ? <br />
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F
<br /> On ne peut tout faire en même temps..virer le nain..d'abord !<br /> <br /> <br /> Ensuite .. pour Hollande, je l'ai déjà dit, pas de chèque en blanc..mais l'esprit de gauche c'est quand même quelque chose.. avec les avancées qui viendront ..après le désert qde 5 ans que nous<br /> venons de connaître..<br /> <br /> <br /> Bravo à Torreton..un grand humaniste, souvent si discret mais tellement pugnace<br /> <br /> <br /> bise<br />
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C
<br /> mais raleuse, quand je parle de négociations c'est bien des législatives qu'il s'agit. nous partageons bien le même concept. quand aux chamailleries, tu sauras bien trouver des occasions et<br /> rassure toi j'en trouverai. après les législatives, je dirai ce que je pense de la campagne de jean luc et je pense que tu ne sera pas d'accord. et puis si nous sommes d'accord, c'est que<br /> les choses auront sacrément avancé. et alors il y aura des raisons dse faire péter les bulles, et du bon.<br />
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